La chimie des instants
Alors que la photographie s'éjecte de l’appareil, ce que je tentais de retenir n’était rien d’autre qu’un moment familier, une scène presque banale ou bien un instant « plein » mais un peu fragile, déjà vibrant de sa future disparition. Pourtant, j’ai ressenti le besoin de solidifier ce moment, de fixer cette scène pour ce qu’elle est, juste, à ce moment. Parce qu’elle fera partie d’autre chose, plus tard.
Le polaroid se développe dans ma poche, libérant doucement les contours d'une image pas si instantanée que cela, mais qui s'offrira tout de même bientôt à mon regard avide. Ce premier regard donné à la photographie à peine développée est celui d’un enfant. Un enfant qui continue de s’émerveiller d’être capable de capter l’image, qui s’étonne toujours de réaliser qu’une fois révélée, l’image est déjà devenue autre chose que ce qui était devant ses yeux quelques instants auparavant. Une transformation.
La photographie est au fond de ma poche, au chaud, puis en retrouvera bientôt d'autres, dans des boîtes, des boîtes en carton, en métal, à chaussures, à gants, des boîtes à photographies. Des boîtes closes dans lesquelles la sédimentation aura lieu, loin du regard, saturant l'atmosphère d'une chimie pâteuse toujours en action, toujours en mouvement.
Elle y restera longtemps, le temps de l’oublier puis de la retrouver.
La retrouvaille est souvent une déception ; pas amère, simplement le constat d’une vibration qui n’a pas duré. D’autres fois, l’image reste. Alors, elle ira rejoindre d’autres, en petits groupes, assemblées ou isolées, recréant parfois la fugacité d’un moment qui n'a peut-être pas eu lieu, ou qui aurait pu avoir lieu.